Le train nous mène depuis Oulan-Oude sur sa plus jolie portion jusqu’à Irkoutsk, contournant le lac Baïkal et ses eaux translucides. Le trajet est superbe, longeant parfois la rive de tellement près qu’il suffirait d’ouvrir la fenêtre pour prendre son bain!

Cette partie du lac dispose du rivage le plus propice à la baignade, nombreux sont donc les Russes à braver l’eau froide pour profiter de leur mer à eux. Qu’importe qu’elle soit à 15° quand elle est d’un magnifique turquoise semblent-ils nous dire pour nous narguer, tandis que nous les regardons depuis notre wagon, entre deux parties de coinche.

Nous décidons d’opter pour une activité très pittoresque du lieu dans une des gares rencontrées, Slioudanka. Celle-ci consiste à goûter de l’omoul fumé, délicat poisson cousin de la truite et du saumon, endémique du lac Baïkal. Un délice au palais, moins pour celui qui se colle à son « dépiautage » à la main, ne disposant pas franchement des outils adéquats… Nous embaumerons donc notre wagon de ces bonnes odeurs pendant quelques heures, puis abdiquerons face à la taille du poisson, se réservant le reste en vue de prochains apéritifs. Le paysage qui suit les rives du Baïkal est tout aussi charmant, des maisonnettes en bois avec leurs jardins où poussent tomates, cornichons et salades en quantité, où l’on peut observer d’un œil indiscret la vie quotidienne des habitants, même si ces derniers sont étrangement peu nombreux. Et voilà que sont pris sur le vif un bain de soleil en maillot dans le jardin, la sieste d’une babouchka ou les jeux d’eau des enfants en vacances.

Ces étendues de maisons en bois finissent par mener à la ville d’Irkoutsk, surnommé le « Paris sibérien », mais qui n’a pas grand chose en commun avec la ville-lumière qu’on connaît si bien au premier abord. La gare est grandiose, tout est fait pour en mettre plein la vue, nous la quittons à bord d’antiques tramways pour rejoindre notre hostel.

Celui-ci, joli, propret, avec des réceptionnistes parlant anglais ne disposerait pas de défaut si sa propriétaire n’était pas totalement psychorigide et souffrant d’incontinence verbale (peu importe que l’on comprenne ce qu’elle raconte ou pas d’ailleurs, cela ne l’arrête pas). Nous passons le reste de l’après-midi à planifier nos futures journées sur le lac et finissons par nous rendre à la gare routière pour vérifier les possibilités de transport telles que nous le souhaitons. La tache s’avère plus ardue que prévue, les guichets étant fermés et personne ne sachant où se trouve le fichu bus que nous cherchons. On finit par abandonner et repousser cette épreuve au lendemain, puis, le temps de faire quelques courses, il est…trop tard pour sortir manger en ville. Ne manquant pas à la tradition russe, tous les restos nous montrent en effet porte close à 21 heures. Le Paris sibérien, vous avez dit? Hum, ça reste à prouver…

On rattrape le coup avec des pelmenis (raviolis sibériens) arrosés de crème aigre et de bière (avec de vertes remontrances de la part de la tenancière de l’hostel), pas trop au goût de Matthieu, mais bien au notre! Un nouveau partenaire de coinche plus tard, autrichien cette fois, et c’est reparti pour un tour de cartes.
Rebelote le lendemain à la gare routière, tour de tous les guichets possibles et inimaginables pour trouver un billet pour Bolchoié Golaoustnoié, petit village le long du Baïkal qui visiblement n’intéresse que nous, car il semble que ce soit un bus fantôme! On n’est pas loin d’abandonner nos idées de randonnée à partir de cet endroit quand, ô miracle, nous trouvons le fameux bus (décrépi) caché tout au fond d’un parking de l’autre coté de la gare… Et on arrive même à acheter des billets au chauffeur le plus mal aimable de la Terre, comprenant qu’il faut que nous soyons im-pé-ra-ti-ve-ment présents à 15h30 ici même, faute de quoi on pourra s’asseoir, mais sur nos billets. Fantastique, cela nous laisse quelques heures pour visiter Irkoutsk, après avoir réussi de façon beaucoup plus agréable et rapide à acheter nos futurs billets de train dans la foulée. Nous partons donc vers le centre, empruntant rues piétonnes rafraîchies par des fontaines, décorées de statues, où le kvas (boisson fermentée à base de pain de seigle pas mauvaise) se vend en quantité dans des petits tanks mobiles.


Une balade agréable, qui nous mène également dans des parcs, le long du fleuve venant du lac et à la rencontre d’églises bien différentes en style architectural et en couleur.

Puis il est déjà temps d’embarquer dans notre bus improbable, pas si inconnu que ça finalement, car rempli à craquer de locaux qui s’entassent dans l’allée principale pour les 3h de trajet une fois tous les sièges pleins. Le trajet fait un peu plus de 100 km, une bonne partie de piste en pleine forêt, une expérience! On débarque au village sur la « place » principale sans avoir idée de où nous loger et nous rendons auprès de l’épicerie du coin pour tenter notre chance auprès d’un habitant.

Bolchoié Golaoustnoié
C’est une aimable grand mère qui nous trouvera un genre de pension en bois bien sympa déjà fort remplie de jeunes mères russes avec leur marmaille pour la nuit. On dîne « à la russe », cornichons, saucisses, tomates et pain noir, le tout arrosé de bières et agrémentés par des morceaux de viande du barbecue de nos colocataires, qui ne parlent pas un mot d’anglais, mais sont fort enclines au partage. On tente des bribes de conversation, aussi bien avec les enfants curieux qu’avec leurs mères, mais c’est finalement Matthieu qui s’en tirera le mieux sans un seul mot de russe, bien après que l’on soit partis se coucher, les jeunes mères russes disposant d’une réserve de bière à partager insoupçonnable à notre arrivée!
Le réveil est donc plus ou moins facile selon chacun le lendemain, mais au final, nous voilà partis, sac au dos, bien tardivement, pour ce que nous pensons être une étape d’un trentaine de kilomètres jusqu’au village de Bolchié Koti. Les vaches divaguent dans les rues de Bolchoié Golaoustnoié, les maisons en bois se prolongent encore longtemps après le village et enfin, nous voilà sur les rives du lac.

L’église de Bolchoié Golaoustnoié sur les rives du lac
Le paysage est beau, parsemé de points de vue sur les rives plus ou moins escarpées, entre falaises et pentes douces, le chemin bien marqué et l’endroit ressemble d’assez près au paradis du campeur et de l’amoureux de la nature.

Nous avons même la chance de croiser des phoques se prélassant sur des rochers proches du rivage, des grues magnifiques et quantités d’autres oiseaux dont nous ne connaissons malheureusement pas le nom.

La pause pique-nique sur une plage de galets dans cet endroit magique est bien agréable après les kilomètres déjà parcourus. Nous pensions rencontrer de nombreux randonneurs sur ce sentier, mais avons le plaisir d’être en fait quasiment seuls, hormis en un point où le bateau de croisière venu de Listvianka accoste pour vomir sa cinquantaine de passagers que nous croisons rapidement.


Nous poursuivons notre chemin jusqu’à ce que les choses se gâtent. Un moment d’inattention nous a sans doute fait rater une bifurcation du chemin et nous voilà coincé au pied d’une falaise non franchissable au niveau de l’eau et bien dangereuse dans les hauteurs. Après plusieurs tentatives et réflexions, nous décidons de suivre un indice de taille (!), une bouteille scotchée à un arbre indiquant une vague direction dans la montagne, espérant réussir à contourner ce morceau de falaise par là. Et bien nous sommes passés, mais au prix de quelques sueurs froides et bonnes frayeurs, le genre de chemin où mieux vaut ne pas tomber si tu tiens à toi. Finalement au sommet, nous récupérons l’énorme sentier initial, que nous avons réussi à perdre par on-ne-sait-quel miracle et sommes tout de même récompensés par la plus belle vue du trajet qu’il nous ait été donné.

Motivés, il ne reste plus que quelques kilomètres devant nous, le temps passe, il faut avancer. Nouvelle difficulté: voilà que des panneaux « chemin dangereux », fléchés dans une direction apparaissent. Oui, c’est bien beau d’indiquer « chemin dangereux », encore faut-il proposer une alternative, or il n’y en a aucune de visible. On se dit qu’après ce qu’on vient de gravir, ça ne peut pas être pire et on y va. Forcément, une partie du chemin s’est effondrée en éboulis, il commence à pleuvoir, il commence à faire sombre, bref tous les éléments concordent pour semer la panique… Mais nous bravons les difficultés et continuons le chemin vaille que vaille, couverts de poussière, on ne va pas faire demi-tour si près du but.

Le but est en fait encore assez éloigné et nous atteignons le Saint-Graal, enfin, vers 20h30, heureusement que les jours d’été sont longs en Sibérie… On est claqués, on s’écroule dans une pension à l’autre bout du village sans même avoir le courage de se faire un bania récupérateur (genre de sauna russe), on dîne et au lit! On apprend aussi par Alexeï, le sympathique propriétaire de cet ensemble écolo en bois que cette étape se fait normalement en 2 jours, ou au moins, en partant très tôt le matin… On le saura, merci! Matthieu choisit de rentrer en bateau à Listvianka le lendemain, tandis que nous continuons à pied pour une étape de 20 kilomètres bien balisée, moins spectaculaire que la veille.


Autant le début de la portion emprunte le long du lac un joli sentier, autant celui-ci s’enfonce par la suite dans les terres en des tortillons qui grimpent à n’en plus finir sans aucune vue dégagée sur les alentours. Pour couronner le tout, nous prenons un orage monstrueux, rien de comparable aux quelques gouttes de la veille à environ une heure de l’arrivée, histoire de débarquer à Listvianka tous trempés et boueux.

Bref, on a bien fait de faire le chemin de la veille, beaucoup plus intéressant niveau paysages! Un coup de mini bus local, les marchroutas, pour rentrer à Irkoutsk et nous rejoignons Matthieu dans un nouvel hostel bien planqué dans un immeuble bien soviétique, mais avec un accueil très sympathique. Bien claqués le soir, on sort dîner rapidement, mais n’avons pas le courage d’aller fêter la fin de cette randonnée dans le « quartier qui sort » d’Irkoutsk, l’appel du lit est plus fort!
Matthieu envolé vers les contrées françaises le matin, nous allons nous promener au district 130 de la ville, lieu de réunion des restaurants et bars que nous avons raté la veille.

La balade est sympa depuis notre logement, fontaines, bâtiments couleurs crèmes et nombre de statues émaillent de nouveau le trajet.


Le symbole d’Irkoutsk
On trouve un super restaurant de piroguis (genre de feuilletés fourrés) pour le déjeuner, à vouloir tester tous les goûts, on finit totalement rassasiés et on tente de faire passer cette nourriture roborative à l’aide d’un délicieux thé à la framboise. Il nous reste encore un peu de temps pour flâner dans la ville, puis il est l’heure de se diriger vers la gare où nous attend le train pour Krasnoiarsk, prochain stop de notre voyage transsibérien, adieu Irkoutsk!